Les palimpsestes de la toponymie au Sénégal
De la géographie et de l’histoire
L’histoire des noms de lieux et des lieux est aussi longue que le temps d’implantation des premiers occupants des différents espaces. En scratchant les fonds cartographiques d’Afrique et du Sénégal, on se rend compte de la complexité originelle des toponymes en Afrique et au Sénégal qui n’est pas en reste, surtout lorsqu’on veut percer leur signification par l’étymologie. Les noms des lieux et les lieux qui sont différemment nommés renseignent sur une simplicité qui fait référence à deux variables du temps et de l’espace. Nommer est une appropriation qui démontre pour un temps bref ou court qui remonte à plusieurs histoires, et assez récemment après le milieu du XIXe siècle à la Conférence de Berlin. Une domination et une mainmise se sont appuyées sur une distanciation après la conquête pour le partage des terres de l’Afrique que les blancs ont découpé au cordeau pour les nommer en de multiples entités rattachées aux différents empires de l’époque : britanniques, germaniques ou français, etc. Ce sont des espaces de type appendice ou territoires et Etats d’Outre – mer, non intégrés mais possédés, d’où les appellations de possessions. Au cours du temps des étapes d’exploration de conquête et de colonisation et même après, la nomination des localités a été de tout temps une œuvre d’écriture et d’effacement, de gommage et de raturage, qui laisse des traces indélébiles qui portent les noms de palimpsestes. Et tous les noms des localités, pour être mieux compris ont besoin d’une archéologie de de la nomination qui établit l’histoire dans l’espace-temps et qui révèle au jour, parfois des changements inédits qui peuvent déboucher sur des interprétations ethnolinguistiques qui ne font pas l’unanimité dans de nombreux cas.
De manière simple, les toponymes translatés sont des formes d’expression du pouvoir colonial, des étapes de reconnaissance et de conquête, de domination et de manifestation d’un pouvoir dominateur extra-métropolitain européen. Le discours de la nomination au cours des périodes de domination est un effacement d’un document spatial construit par les communautés successives qui ont élaboré les espaces qui n’ont pas fini d’être nommés. Une réappropriation de la nomination ne peut pas se réaliser par des décrets et des textes de lois qui vont changer les noms des localités de manière immédiate.
Des noms et de la hiérarchie de la nomination
Dans le cas du Sénégal, rien que la parenthèse du sens donné aux différentes variantes du signifié « Sénégal ou Sunugal » ne nous sort pas de l’auberge[1].
Des localités
Du nom de Faidherbe associé au contexte de déboulonnage qui a cours suite aux évènements de l’Amérique anti-raciste, on voudrait rebaptiser, ou donner un deuxièmement jugement supplétif, une supplétion à la localité qui s’appellerait Ndar gueth par exemple. Quel bouleversement révolutionnaire est attendu dans une sorte d’africanisation et de sénégalisme pour nos états civils ? Un tel n’est plus né à Saint-Louis du Sénégal, mais à Ndar. L’université Gaston Berger n’est plus à Saint-Louis mais à Ndar. Et encore Gaston Berger ? Ndar n’est pas Saint-Louis, ni l’inverse, chacun pour soi. Les deux coexistent dans le champ réel des mémoires et patrimoines de manière ineffaçable. Le Cap-Vert n’est plus vert, mais gris de béton. Et pourtant il s’est fait appeler, à un moment donné, Cabo Verde et reste l’homonyme d’une république, celle du Cap-Vert. Retenons Gorée et sa belle rade, Rio fresco, la ville de Ziguinchor qui a une homonymie, tenez-vous bien aux Philippines[2], et Bargny que l’on retrouve en France[3].
Il nous faut raison garder. Le débat est intéressant. L’Histoire est infalsifiable. Ndar, c’est aussi Saint-Louis ou vice versa, renommer et encore n’y changera rien. Car en effet, dans l’histoire de Saint-Louis, pardon de Ndar Gueth, il y est question d’un pont, celui nommé Faidherbe. On le renommera avec le nom de baptême de quelqu’un qui incarne la ville, mais tous les noms resteront à jamais. Comme après les années de braise, post-1968 et de mimétisme quand les jeunes empruntaient les noms de Jimmy Hendrix, Johny Halliday ou Claude François ou Cloclo, Decroix, Castro, Lénine. Est-ce que nous comprenons les noms de nos localités, et qui les a nommées ? C’est cette histoire qu’il nous faut écrire. La connaissance de la signification des toponymes ne vaut – elle pas mieux que la re – nomination ?
Le débat qui mérite d’être ouvert c’est d’avoir une commission nationale qui maîtrise la nomination et qui est l’homologue d’une autre, ailleurs, et elle aura la tâche de gérer les noms des localités[4].
Les structures qui gèrent les noms des lieux ne sont pas bien implantées et suivies en Afrique. Et aujourd’hui, les enjeux et les défis ne sont pas de l’ordre de la décolonialité, mais de la connaissance pour le déplacement et même la vente en ligne dans un monde globalisé, internetisé. Combien d’outils seront embarqués dans nos téléphones et les différents types de véhicules et qui nous aideront à retrouver notre chemin. Pourra-t-on changer, comme à l’aide d’un coup de baguette magique, les noms des localités, des rues qui sont déjà passées par les gazetteer [5] américains et intégrés dans les GPS des nouveaux satellites qui aident la Chine à mieux se positionner dans l’espace de la compétition internationale en ce qui concerne la surveillance des pays. Peut-on se réveiller aujourd’hui et changer le nom d’une rue et l’intégrer dans Google – map ou bien Nima Code.[6] Des politiques, en révolutionnaires avisés, escomptent de réussir les coups de Sankara en changeant la Volta qui est une rivière qui a été désignée et qui finalement donnera la Haute Volta changée en Burkina Faso. Les enjeux évoluent aujourd’hui à la vitesse des réseaux sociaux et les défis sont ailleurs.
On peut déboulonner, ce qui peut être une excellente leçon d’Histoire, comme c’est le cas de ces épitaphes de notre enfance à Fatick où la place de prise d’arme portait en lettres gravées dans le marbre : « Le Sine a ses enfants morts pour que vive la France et l’Union française, 1914-1918, 1939-1945 ». Quel message à nos vaillants soldats anonymes. Le message mérite d’être envoyé à ceux qui ont répondu à Sarkozy[7] en son temps pour le faire sortir de ses histoires, car comme dans les kakistocraties – la gouvernance par les pires – nous devons éviter que les incompétents nous installent dans leur giron.
[1] V. contribution de Saliou Kandji et Babacar DIOP Buuba. 1° Atelier sur la toponymie au Sénégal (mai 2006). Faculté des Lettres et Sciences humaines, Université Cheikh Anta Diop, Dakar, Sénégal.
[2] https://asianwanderlust.com/siquijor-island-philippines/
[3] Ville sur la Petite Côte au Sénégal, mais aussi, Bargny est une commune française située dans le département de l’Oise en région Hauts-de-France.
[4] V. Système des Nations-unies qui collabore avec les commissions nationales de toponymie
[5] gazetteer : a book or part of a book that contains a list of names and places, usually with some extra information. Almanach qui réunit des noms et des noms de lieux avec des informations complémentaires.
[6] Application internet qui permet la géolocalisation avec son slogan : « my phone number is my address ».
[7] V. L’Afrique répond à Sarkozy. https://www.amazon.fr/LAfrique-r%C3%A9pond-Sarkozy-Contre-discours/dp/2848761105.
01/06/2021 @ 00:00
Un article très intéressant qui traite des questions actuelles, que posent notre jeunesse à savoir une décolonisation par le changements de nom des lieux.